1500 - 1800

Quels étaient les grands centres du marché de l’art en Europe au 18e siècle ? Qui en étaient les acteurs ? Dans quels réseaux professionnels et familiaux ces derniers s’inscrivaient-ils ? Où étaient situés les marchands de tableaux à Paris au siècle des Lumières ? A quoi ressemblait l’activité du marchande du Pont Notre Dame et la boutique de son plus célèbre occupant, François-Edmé Gersaint ?

La base de données et les applications de visualisation proposées ici visent à restituer sous une forme inédite les résultats d’une équipe de chercheurs qui se sont penchés – entre autres – sur ces questions, dans le cadre du projet Art Markets in Europe. Emergence, Development, Networks, 1500-1800, soutenu par l’ANR.

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Le pont Notre-Dame et la boutique de Gersaint vers 1720

Comme la plupart des ponts de l’ancien Paris, le pont Pont Notre-Dame présentait jusqu’à la fin de l’Ancien Régime un aspect bien différent de celui d’aujourd’hui. Il était bordé, depuis le début du 16e siècle, d’un ensemble homogène de 64 maisons dédiées au commerce de marchandises. Grand axe urbanistique reliant le quai de Gesvres à l’Ile de la Cité, le Pont Notre Dame était un lieu animé et très fréquenté dont l’importance dans l’histoire du commerce de l’art mérite une attention soutenue.

Une première application a été réalisée à partir de la base de données produite par Mickaël Szanto. Elle a été conçue afin de visualiser l’emplacement des marchands liés au commerce de tableaux depuis le début du 17e siècle jusqu’à la démolition des maisons en 1786. Une représentation graphique simplifiée, associée à une timeline, permet de suivre l’évolution de la représentativité de ce type de marchands par rapport à l’ensemble des commerces du pont. Elle permet de dégager des temps forts et des temps faibles dans la concentration des marchands de tableaux reflétant les mutations profondes du marché parisien.

Une autre approche fondée sur l’image de synthèse photo réaliste permet de proposer une restitution de l’aspect du pont vers 1720, à partir du croisement de nombreuses sources iconographiques et archivistiques. Ce travail de modélisation a consisté à redonner un sens aux espaces, aux matériaux et aux volumes de cette architecture disparue. Plus particulièrement, la vue intérieure du pont a nécessité une patiente et rigoureuse mise à l’épreuve des sources afin de restituer l’impression de rue commerçante donnée par les deux rangées de maisons uniformes masquant la vue sur la Seine. Le choix de la date, 1720, se justifie pour deux raisons. D’une part, c’est sous la Régence que le nombre de marchands tableaux installés sur le pont connut son apogée. D’autre part, c’est précisément cette année-là qu’Antoine Watteau peignit la fameuse Enseigne de Gersaint (Aujourd’hui à Berlin, Schloß Charlottenburg).

Établi dans la 35e maison du Pont Notre-Dame de 1718 à 1744, Edme-François Gersaint était encore un jeune marchand mercier en 1720 qui n’allait pas tarder à devenir le marchand de tableaux le plus innovant de son temps. Mais à quoi ressemblait l’espace d’exposition et de vente de sa boutique au moment où Watteau peignit l’Enseigne ? Contrairement à l’image idéalisée véhiculée par cette peinture atypique, les documents d’archives font apparaître l’idée d’un espace exigu (12m2 de superficie), sombre et surencombré de marchandises. Afin de prendre la mesure de ce décalage, une reconstitution en images de synthèse s’est imposée. Cette proposition de restitution se fonde principalement sur l’inventaire notarié de la boutique dressé en 1725 après le décès de la première épouse de Gersaint. Elle donne l’occasion d’envisager de nouvelles hypothèses concernant l’emplacement et la fonction d’enseigne de ce tableau et de mieux apprécier son caractère unique et visionnaire.